"Gouverner, c'est prévoir"
Passer d’une gouvernance de réaction à une celle d’anticipation et d’investissement dans l’avenir du pays
Bibiche Ngomba Kassanda
5/8/20244 min read


On dit souvent : « Gouverner, c’est prévoir ». Mais dans notre contexte, on pourrait ajouter : ne pas prévoir, c’est se condamner à subir.
En République Démocratique du Congo, comme dans plusieurs nations africaines en quête de stabilité et de développement durable, nous vivons encore trop souvent sous le règne de la gouvernance de réaction : une gouvernance qui attend la crise pour agir, qui gère dans l’urgence, sans planification, sans vision à long terme.
Cette réalité, que j’ai observée de près dans le domaine de la logistique, s’étend à presque tous les secteurs : éducation, santé, infrastructures, gouvernance publique, environnement, etc.
1. Le constat : une gouvernance qui réagit au lieu de prévoir
Premièrement, nos institutions souffrent d’un déficit chronique de planification, ce qui conduit à s'interroger sur les critères de nomination des responsables, se fait-il une évaluation préalable de leurs compétences, ou même de leur aptitude à diriger?
Lorsque des personnes “pas aptes à diriger” sont nommées à des postes cruciaux, elles apprennent sur le tas. Leur première expérience de gestion se fait “en direct”, sur des budgets publics ou institutionnels, au prix d’erreurs coûteuses et répétitives.
Deuxièmement, nos budgets sont souvent plus politiques que techniques. On planifie parfois des projets sans volonté réelle d’y affecter les ressources nécessaires. Les lignes budgétaires deviennent symboliques, les priorités changent selon les intérêts du moment, et les projets meurent avant même de naître.
Troisièmement, nous agissons uniquement sous la pression de l’urgence :
On attend une catastrophe pour réagir.
On attend une épidémie pour renforcer la santé publique.
On attend un effondrement pour réparer une route.
On attend une inondation pour déboucher les caniveaux.
On attend la crise alimentaire pour parler d’agriculture.
On attend une marche, un soulèvement populaire pour faire quelque chose.
On attend que des gens meurent pour se rendre compte du danger auquel ils étaient exposés et qui aurait pu être évité …
C’est une culture du feu à éteindre, qui épuise les hommes, les institutions et les ressources, sans jamais construire l’avenir.
2. Les causes profondes de cette gouvernance de réaction
Elles sont multiples, mais trois me paraissent majeures :
2.1. L’absence de culture de la planification
Plusieurs des dirigeants africains confondent planification et bureaucratie. Planifier, ce n’est pas remplir des tableaux Excel ou faire des réunions interminables. Planifier, c’est penser stratégiquement, c’est anticiper les besoins, les risques et les opportunités.
2.2. Le court-termisme politique
Notre gouvernance est souvent prisonnière du cycle électoral et des urgences politiques. On privilégie ce qui est visible tout de suite plutôt que ce qui est durable à long terme. On investit dans des inaugurations plutôt que dans des réformes.
2.3. L’absence de responsabilisation et d’évaluation
Très peu de responsables publics ou institutionnels sont évalués sur la base des résultats ou des indicateurs de performance. On récompense plutôt la loyauté, pas la compétence. Et sans évaluation, il ne peut y avoir ni apprentissage, ni amélioration.
3.Les conséquences de cette gouvernance de réaction
Les effets sont désastreux :
Épuisement des équipes qui travaillent dans l’urgence permanente.
Dilapidation des ressources publiques sans retour sur investissement.
Perte de confiance des citoyens et des partenaires.
Dépendance structurelle vis-à-vis de l’aide internationale.
Et surtout, retard accumulé dans tous les domaines : éducation, santé, infrastructures, économie, environnement.
Une nation qui ne planifie pas, planifie son échec (Benjamin Franklin). Et une organisation qui ne prévoit pas, prépare sa propre crise.
4. Pistes de solutions : construire une gouvernance d’anticipation
Face à ce constat, nous avons le devoir de réinventer notre manière de gouverner.
Voici quatre leviers essentiels :
4.1. Professionnaliser les fonctions publiques et techniques
Les nominations doivent se baser sur les compétences vérifiables, pas sur le clientélisme. Il faut recruter, former et certifier les gestionnaires publics selon des standards de mérite et d’intégrité.
4.2. Institutionnaliser la planification stratégique
Chaque ministère, province, et entité territoriale devrait disposer d’un cadre de planification pluriannuel, adossé à des indicateurs clairs.
Les plans de développement doivent devenir des instruments vivants, suivis et évalués, pas des documents de vitrine.
4.3. Créer une culture de gestion des risques et de prospective
Gouverner, ce n’est pas seulement réagir aux crises, mais prévoir les signaux faibles.
Il faut instaurer des cellules de veille stratégique, logistique et environnementale, capables d’alerter avant qu’une crise ne devienne catastrophe.
4.4. Promouvoir la gouvernance participative et responsable
L’État seul ne peut pas tout. Il faut associer les citoyens, le secteur privé, les chercheurs et la société civile à la construction des politiques publiques. Une gouvernance anticipative est aussi une gouvernance inclusive.
5. Investir dans l’avenir du pays
L’anticipation n’est pas un luxe, c’est un investissement. Investir dans la planification, c’est préparer l’avenir des générations futures. C’est éviter que les mêmes erreurs se répètent à chaque décennie.
Chaque franc dépensé dans la prévention en économise dix dans la réaction. Chaque jour consacré à planifier en épargne cent jours de gestion de crise.
Ce n’est pas une utopie : c’est une nécessité pour la survie même de notre pays.
Le vrai leadership n’est pas celui qui éteint les incendies, mais celui qui empêche qu’ils se déclarent. Gouverner, c’est prévoir. C’est voir plus loin que la prochaine crise, plus haut que les échéances politiques, plus profond que les discours.
L’avenir de la RDC dépend de notre capacité collective à remplacer la culture de réaction par une culture d’anticipation, à bâtir des institutions prévoyantes, et à former des dirigeants qui n’improvisent pas, mais qui préparent, planifient et performent.
Prévoir, c’est aimer son pays.
Anticiper, c’est le protéger.
Planifier, c’est lui garantir un avenir.
Bibiche Ngomba Kassanda

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